Les pervers narcissiques effraient tout autant qu’ils fascinent.
La victime devient le bourreau et l’on atteint ici le comble de la perversion.
Le pervers narcissique est en effet bien incapable de se remettre en cause; c’est pourquoi il ne foule quasiment jamais le palier d’un cabinet de psy; qu’il a d’ailleurs souvent en horreur.
On doit donc la première synthèse théorique de “ la perversion narcissique ” à P.-C. Racamier. Racamier donne de la perversion narcissique une description clinique avant de l’aborder sur le plan métapsychologique. Cette notion “ sert son souci de décrire et de traquer les processus pervers dans les familles et dans les groupes ”, précise G. Bayle, dans son étude biographique consacrée à P..C. Racamier (*).
Racamier emploie des mots très percutants pour décrire les moyens employés par les pervers narcissiques et prône le combat pour enrayer leur action. Ce sont des “ noyauteurs ” pour qui tout est bon pour attaquer le plaisir de penser et la créativité : pour le pervers narcissique dominent “ le besoin, la capacité et le plaisir de se mettre à l’abri des conflits internes et en particulier du deuil en se faisant valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile et un faire-valoir ” (*)
Il ajoute qu’ “ il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ”. Il préconise de confondre ces noyauteurs par l’humiliation pour qu’ils “ se crachent eux-mêmes ” et il ajoute : “ Tuez-les, ils s’en foutent, humiliez-les, ils en crèvent ! ” .
Avec une violence de plume tout à fait inhabituelle, Racamier, le thérapeute inlassable de patients psychotiques au long cours, se déchaîne contre le comportement des pervers narcissiques.
Les éclairages et apports théoriques tendent à montrer que le narcissisme de la perversion narcissique serait un narcissisme blessé.
Le rapport à l'autre (objet), vécu comme dangereux, conduit le pervers narcissique à faire de l'autre un « objet-non-objet » chosifié. L’autre est à la fois indispensable au "PN" et en même temps est craint, attaqué et réduit à sa fonction de réceptacle inerte.
La perversion narcissique apparaît, elle, comme un ultime rempart contre la dépersonnalisation et la psychose, comme un aménagement aussi destructeur que désespéré pour maintenir une survie psychique au détriment d’autrui...
Regardons de plus près les deux notions : le dictionnaire Robert associe « pervers » à « corrompu », « dépravé », « méchant ». L’adjectif « pervers » est plus ancien (XIIe siècle) que la « perversion » qui n’apparaît qu’au XVe siècle en y ajoutant le « dérangement », le « dérèglement » et l’ « égarement » ou, par extension, la « folie ». La « perversité » reste associée à la « perfidie » ou à la « malignité » ; elle s’oppose à la « bonté », à la « bienveillance » et à la « vertu. » « Corrompre » et « dévoyer » ne vont pas sans « séduire » : seducere, conduire à soi, ce qui implique une dimension narcissique active dans toute perversion...
Le « narcissisme », mot du XXe siècle, hésite entre une « contemplation de soi » ou « une perversion sexuelle qui consiste à se choisir comme objet érotique » (selon le Robert).
Perversion narcissique et relation amoureuse
Les états passionnels apportent même un bonus : dans l’état amoureux, idéalisé, l’objet d’amour rejaillit narcissiquement sur le sujet... Le pervers narcissique prendrait sans donner et utiliserait l'autre comme "faire valoir".
Le pervers narcissique a pourtant « besoin » des autres comme « ustensiles » pour échapper à sa conflictualité interne.
C’est peu dire que de souligner que la perversion narcissique implique une emprise, si radicale qu’on ne voit plus que cela. Dans la perversion narcissique, l’emprise se serait coupée du registre de la satisfaction : l’emprise ne serait plus au service de la construction de la satisfaction, elle se suffirait à elle-même tandis que le registre de la satisfaction serait désinvesti.
Le plaisir du pervers narcissique ressortirait d’un triomphe sur l’autre.
L’étymologie rapproche, comme on l’a vu, la séduction de la perversion. La notion de séduction narcissique – autre concept Racamier – présente l’intérêt d’introduire une perspective développementale importante, celle des relations parents/enfant. Il s’agit de mécanismes discrets, qui permettent l’asservissement du psychisme de l’enfant à celui des parents, de la mère par exemple. La mère peut apparaître comme un authentique pervers narcissique échappant à ses conflits et à ses deuils en transformant son enfant en ustensile ou en appendice, empêchant toute tendresse et transformant la relation mère-enfant en relation d'emprise uniquement.
"Racamier a débusqué les pervers narcissiques dans les thérapies de familles ou dans la vie de l’institution psychiatrique mais on ne peut se désintéresser de ce qu’ils deviennent dans d’autres groupes humains ou dans d’autres institutions : on pense à l’école, aux Églises, aux sectes mais aussi à certaines dérives démagogiques ou totalitaires, voire terroristes, dans la vie politique quand la perversion narcissique devient, de par la personnalité de certains leaders, le principe organisateur de la foule ; on peut évoquer ainsi les bandes, la délinquance urbaine ou les organisations maffieuses qui font peut-être leur miel de ce principe actif. La notion psychosociologique de « harcèlement moral », développée largement par Hirigoyen, recouvre, en partie, le champ des perversions narcissiques ?"
Inspiré des écrits de J. Angelergues et F. Kamel
Le PN est à l'aise dans l'obscurité de la confusion et déteste la lumière de la vérité.
On ne guérit pas un pervers narcissique, on ne le ramène pas à la raison, encore moins on le sauve de sa folie. On ne peut que le fuir en espérant ne pas y avoir laissé trop de plumes...